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Foire aux mouches, avec la poussière comme toute couverture, la viande de boeuf telle que vendue à Parakou pose d’énormes problèmes de santé. Abattoirs sans normes, sans eau potable, et une complicité cupide entre bouchers et vétérinaires ne garantissent pas une bonne qualité de la viande de boeuf vendue et consommée à Parakou.
Une trentaine d’animaux sont abattus chaque jour dans les aires d’abattage de la ville de Parakou. Ces animaux sont de toutes catégories, maigres, gros, malade, ou bien portant selon le constat des riverains des abattoirs. Madeleine, commerçante au marché de Guêma “on voit parfois les os et les côtes de ces animaux apparaître. Ces animaux présentent des signes de maladie avec des bouses à la queue.”
Pour comprendre ce phénomène nous avons décidé de nous rendre au marché de Guêma, dans le 3e arrondissement de Parakou.
Samedi matin, il est 06h. Suanon Mohamed secrétaire général de l’Association des bouchers de Parakou nous accueille. Quelques instants après notre arrivée apparaît soudain un tricycle. Selon notre hôte ces animaux viennent du marché à bétail de Kpassagambou, au Nord Est de Parakou, à environ 05 km de l’aire d’abattage mais sur le territoire de la commune de N’dali. Une fois arrivés, ces animaux sont égorgés par un fidèle musulman habitué à cette tâche. Les animaux sont ensuite exposés sur une terrasse d’environ six mètres carrés. C’est en ce moment que commence véritablement le travail des bouchers. Couteau en main pour certains, hache pour d’autres, les bouchers s’attèlent à dépecer les animaux. Constitués en petits groupes, chacun s’occupe de son animal. Une quarantaine de minutes après, plusieurs quartiers de viandes ensanglantées jonchent la terrasse de ciment que le lavage au balai végétal et à l’eau savonneuse n’a pas fini de débarrasser des plaques de sang coagulé, noirâtres. Les membres supérieurs et inférieurs sont laissés de côté. Les tripes sont également dissociées. La tête et les pâtes sont également déposées à proximité. C’est là que s’arrête provisoirement le travail des bouchers. Du moins avant l’intervention des services vétérinaires.
Ce jour-là c’est DANKORO ZIME Nouroudine qui vient inspecter la viande. Il sonnait 8h10 minutes quand il fît son apparition. Dès son arrivée il a constaté que six animaux étaient déjà mis en quartier. “ Je suis là pour inspecter les animaux afin de déceler d’éventuels cas de maladie qui pourraient endommager la santé des consommateurs.Mon travail consiste à examiner le foie, la rate et la chair de l’animal. Je me dois aussi de contrôler la langue et les intestins de cet animal” a-t-il déclaré. Mais tout ce travail est précédé de l’inspection sur pied de l’animal. Cette inspection peut se faire la nuit ou très tôt le matin. L’inspection sur pied permet de voir l’état de l’animal avant d’être égorgé” nous a-t-il expliqué, le visage souriant.
“Cette phase terminée, si l’animal ne présente aucun danger pour la consommation, nous passons à l’estampille”, ajoute-t-il. Cette dernière vérification permet de s’assurer que la viande peut être consommée sans aucun risque.
Des aires d’abattage hors norme au vu et au su de tous!
Un mode de transport dangereux
Les aires d’abattage de la ville de Parakou ne respectent aucune norme selon Docteur Shakira SALIFOU, enseignante à l’Université d’Abomey-Calavi. Dans son étude réalisée en 2016, elle a constaté que “les aires d’abattage sont à proximité des populations et sans aucune norme de construction adéquate”.
Les conditions de transports sont aussi archaïques. Une fois L’inspection terminée, les bouchers déplacent la viande de l’abattoir vers les points de vente. Dans cette tâche, ils sollicitent des véhicules à deux ou trois roues, ou carrément à pied, les quartiers de viande à même le corps ou dans des bassines. Ce mode de transport de la viande n’est pas sain, selon docteur Shakira SALIFOU. Selon cette même étude, “la qualité bactériologique de la viande que nous consommons n’est pas très très alarmante. Seulement que la charge microbienne de la viande évolue du lieu de production (abattoir) au point de vente (marché). Ceci en raison des gaz d’échappement des engins par exemple. Cette charge microbienne sera plus élevée dans les postes de vente en raison des conditions précaires des infrastructures érigées”.
Elle sera soutenue dans cette position par Docteur Rafiou BAGUIDI, médecin à la clinique As de cœur de Parakou. Pour lui “les conditions de transport et de vente peuvent rendre une viande impropre à la consommation”. Car, dit-il, “il y a un vecteur qui peut déposer des microbes sur cette viande du lieu de transport au lieu de commercialisation. Ici, des mouches et d’autres facteurs de risque peuvent se poser sur cette viande tout le temps et les différents responsables doivent prendre des mesures idoines afin de protéger la viande pour le bonheur des consommateurs” a-t-il souhaité.
Dans les marchés, des boucheries de fortune se limitent à une ou deux tables et une balance, toutes noircies de sang coagulé depuis plusieurs années. Les tables sont généralement en bois massif, de sorte qu’un même boucher peut garder sa table près d’une décennie sans la changer. Il lui suffira d’un bain évasif chaque matin, censé nettoyer tout ce qui s’y est déposé entre la fermeture du marché et le lendemain. La viande est exposée à l’air libre et les mouches viennent s’y poser. Au bord de la route, la poussière couvre également la viande, surtout en ce moment où la ville de Parakou est en chantier.
Dans cette ville, les acteurs des boucheries sont confrontés à plusieurs problèmes dont la salubrité et le manque d’eau potable. Mohamed SUANON raconte: “nos femmes sont obligées de parcourir plusieurs kilomètres pour trouver de l’eau potable, même des puits. Le site sur lequel nous travaillons est d’ailleurs un site provisoire, non aménagé, car il appartient à un particulier qui peut nous déguerpir à tout moment.
La Mairie de Parakou affirme qu’elle travaille pour doter les aires d’abattage de la ville en eau potable tout au moins.
La commercialisation de la viande foraine, un danger.
Cette pratique consiste à acheter un bœuf déjà mort dans un camp peuh, évidemment bon marché, et mélanger ensuite les carcasse de ce boeuf avec de la viande “saine”. Cela se passe parfois avec certains vétérinaires, selon le témoignage sous anonymat d’un boucher qui a 11 ans d’expérience maintenant. Nous avons d’ailleurs constaté sur le terrain, qu’une fois que le vétérinaire inspecte “sa viande”, il s’en va, sans avoir aucun autre moyen de vérifier que d’autres viandes venues d’ailleurs n’ont pas été glissées dans le lot.
Les agents vétérinaires ont bien conscience de la présence de cette viande foraine. Même si Abdoulaye ALASSANE, chef service réglementation et contrôle de la qualité à la Direction Départementale de l’Agriculture et de la Pêche moralise: “un agent assermenté ne doit pas s’abonner à une telle pratique”.
Cette viande foraine est source de risques permanents aussi bien pour les vendeurs que pour les acheteurs consommateurs. Docteur Rafiou BAGUIDI explique: “les bouchers qui dépouillent cette viande sont exposés à d’énormes maladies car ils ne savent pas de quoi l’animal est mort.
Pour réduire la présence de cette viande foraine sur le marché, les agents vétérinaires assermentés font des contrôles périodiques afin de saisir cette viande et de punir les auteurs.
“Lorsqu’un boucher est arrêté avec de la viande foraine, il peut être sanctionné et même suspendu d’activités pour trois mois”, nous informe DANKORO ZIME Nouroudine. Il n’a cependant pas été possible de dire à quand remonte la dernière sanction, alors même que les éleveurs confirment que leurs boeufs déjà morts sont toujours vendus aux bouchers. Les bouchers invitent les consommateurs à vérifier à chaque fois la présence de l’estampille sur la viande exposée, alors qu’il est de notoriété publique qu’une fois découpées pour être vendue en petit kilogrammes, la viande ne laisse plus voir l’estampille!
Nous avons d’ailleurs demandé des conseils pour reconnaître une viande impropre à la consommation. Réponse: “c’est une question de
spécialiste”, d’après Mouhamed SOSSOUHOUNTO, inspecteur vétérinaire. Les consommateurs doivent simplement s’en remettre à la providence.
Sanni KORA BAGUIRI
Une enquête de Deeman Radio avec le soutien du “Projet Dialogues Citoyens Bénin”, financé par Canal France International (CFI).
C’est une triste réalité…je travaille aussi sur le thème